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L’UCB, CINQUANTE ANS DE RÉSILIENCE

Mai 2023

Par JEAN BAPTISTE KETCHATENG 
Journaliste Économique

Le brasseur camerounais a su négocier, grâce à la tradition d’audace et d’intelligence stratégique du fondateur Joseph Kadji Defosso, les tournants les plus décisifs et difficiles d’un demi-siècle d’existence. 

Il avait plus d’un coup d’avance. Et selon que l’on était bénéficiaire ou non de son art de prévoir et de parer les coups, les protagonistes de sa longue trajectoire pouvaient l’applaudir ou tenter de le renverser. C’est avec ce savoir-faire que Joseph Kadji Defosso a pu négocier victorieusement les virages déterminants de l’épopée de l’Union Camerounaise de Brasseries (UCB) entre 1972 et 2018. Parmi ses admirateurs, le manager senior des assurances Protais Ayangma  qui célébrait sa mémoire au moment de sa disparition : « Il a su résister à l’ogre Castel, qui a avalé tous ses concurrents, allemands compris. » M. Ayangma se satisfaisait d’un « truc » fétiche qu’avait le « père » Kadji : « Il a confirmé le fait que le business n’est pas une affaire d’enfants de chœur ou de naïfs. Mais, une affaire de malins et de stratèges [y compris face à] nos amis occidentaux, si souvent condescendants et convaincus de leur supériorité ! ». Une démarche d’entrepreneur racé que son frère et homologue l’hôtelier Pascal Monkam soulignait aussi à grands traits, en comptant tous ceux qui sont venus après lui et ont disparu du paysage des brasseries industrielles. 

Une résilience dont les racines fondatrices remontent à la création de l’UCB.

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Le tournant de la réduction des coûts des matières premières

 

Sortie des fonts baptismaux quelques années plus tôt, l’UCB se trouve alors être une entreprise fragile dont les moyens de production pèsent sur les résultats finaux donc les bénéfices. 

Pierre Castel étant celui qui fournissait les matières premières, Joseph Kadji Defosso accuse son ami d’imposer des fournisseurs avec des tarifs trop élevés à UCB. Il est certain de pouvoir obtenir de meilleurs tarifs sur le marché et joint le geste à la parole. Le virage ainsi entamé éprouve les autres actionnaires locaux. Les relations entre eux s’en trouvent distendues. Certains estiment que le risque ainsi pris par M. Kadji Defosso ne peut pas être partagé. Castel sort. Et d’autres le suivent. L’investisseur Kadji, lui, garde le cap et rachète les actions de ceux qui quittent le tour de table. Il agrandit par conséquent son assise et sa marge de manœuvre dans l’affaire chaque jour davantage marquée de son empreinte personnelle de manager. « Il ne faut pas croire que tout ça va de soi pour autant», analyse avec le recul Jean Pierre Tiemani, directeur général adjoint de l’UCB. «C’est sur le long terme que l’on verra que réduire leur prix de revient en agissant sur le coût d’achat des matières premières était une exigence capitale. » Quoi qu’il en soit, l’épisode se termine à l’avantage du jeune requin des affaires qui en verra d’autres.

 

1990 et le tango heurté avec l’administration fiscale.

Alors que le monde va connaître de grands changements, l’UCB est rentrée dans les habitudes des consommateurs camerounais comme le petit poucet qui se bat face aux mastodontes occidentaux. Herbert Nkongo, octogénaire habitant de Douala depuis sa naissance, en témoigne : « On aimait UCB parce qu’elle nous ressemble. La première fois que j’ai vu un brasseur distributeur au sous-quartier, c’était UCB. Avant lui, c’était difficile. Seuls des revendeurs privés s’occupaient de cela. C’était une manière de débrouillardise et d’adaptation au contexte car nos quartiers ne sont pas systématiquement urbanisés. Et ça on l’appréciait, qu’UCB vienne livrer au quartier. » Pourtant, la seule brasserie alors détenue par un  Camerounais va expérimenter la fermeture de son usine dans la zone industrielle de Douala-Bassa. Un désaccord avec l’administration des impôts l’y contraint. L’opinion en est émue. 

Si Joseph Kadji Defosso ne se refuse pas à recevoir les manifestations de sympathie populaire face à la mauvaise passe, en responsable d’une affaire qui emploie des centaines de chefs de famille, il s’ajuste. Sans renoncer à son opinion sur la marche du pays qui aurait pu se porter mieux, l’homme négocie la réouverture et la relance. UCB en ce moment-là, est plus que jamais porteuse de la marque Cameroun tant pour l’homme de la rue, ce retour est attendu. Un juste retour des choses, comme qui dirait. 

C’est l’époque du « nous-nous » de la populaire « King ». Dans le parler camerounais, cela se comprend comme un signe d’appartenance, de fraternité et de solidarité mutuelle.  
Le petit poucet va encore mûrir, gagner en expérience au point d’épouser les goûts de millions de palais avec la « Kadji Beer », la récolte de toute une vie de recherche, d’adaptation et d’innovation.

 

Le challenge permanent d’ajustement.

Après 1972, d’autres hommes d’affaires camerounais ont tenté l’expérience de la brasserie dans le sillage tracé par l’UCB sous la direction de Joseph Kadji Defosso. Sans que ce soit un tournant, un moment particulier, estime M. Tiemani, ce qui lui a permis de demeurer en selle c’est : l’innovation permanente face aux changements. Ainsi, quand arrivent les Nouvelles Brasseries Africaines, l’International Brasseries dans les années 1980, la SIAC Brasserie Isenbeck, une vingtaine d’années plus tard, M. Kadji Defosso diversifie encore son mode de recrutement. Chasseur de têtes et d’idées neuves, il fait du sang nouveau qu’il injecte dans les chaînes de production, au commercial ou même dans l’administration, la réponse qui permettra de ne surtout pas reculer. C’est alors que se développe le marketing social de l’enseigne UCB, associée davantage à l’éducation, au sport. Tout en enrichissant à chaque fois, la gamme des boissons qui vont concurrencer sur les étagères, ce qu’offrent les brasseries en compétition avec lui. 

Le temps a passé mais l’on se souvient qu’avant le célèbre et inimitable porte-flambeau de la gamme «Spécial», le « Pamplemousse UCB » - la précision est de mise et dominante chez les consommateurs- il y a eu de nombreux autres : «Pils 2000», «Bock», «Royal», «Master», «Gold Fassl»…

 

Les années 2010 : fiscalité et modernité.

L’héritage de l’ajusteur haut de gamme Joseph Kadji Defosso, au moment où il passe la main et s’apprête à quitter toutes ses affaires, perdure et se revivifie. 
Depuis 2015 et le doublement du droit d’accises sur les bières, l’UCB a dû trouver, comme dans les années 1970, une parade. L’impôt multiplié a réduit les marges de bénéfice car l’UCB, encaissant le choc, n’a pas répercuté sur les consommateurs l’augmentation fiscale survenue en amont. 

En revanche, elle a poussé son avantage sur le terrain de la réduction des coûts, profitant des opportunités des lois sur l’investissement dans les facteurs de production. 

Depuis le démantèlement de l’ancienne chaîne de fabrication, trois autres ont été acquises. La qualité a connu des bonds distingués par les normes internationales telles ISO 9001-2015. 
Le volume des boissons mises sur le marché a aussi augmenté spectaculairement : de l’ordre de 100% entre 2015 et 2023. 

Qui peut nier que les résultats d’aujourd’hui doivent leur magnificence à l’audace d’un manager qui voyait loin ?
 

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